Le Vieux Village – Pierre MURILLO raconte …

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Pierre MURILLO raconte …

TÉMOIGNAGE
Pierre MURILLO, Artiste Peintre

INTERVIEW
Azarie AROULANDOM
Club Audiovisuel de Bouchet

Goussainville, samedi 18 avril 2015.

murillo_1PM : « Pierre MURILLO, artiste peintre. J’habite le vieux pays de Goussainville. Je suis arrivé, … J’ai eu ma mutation. J’étais professeur dans le Nord. J’y suis resté deux ans. J’ai été muté ici en 68. J’étais professeur de dessin à Goussainville et puis j’ai quitté l’enseignement et je me suis consacré à la peinture. J’ai quitté l’enseignement en 80 ».

AA : « Vous avez vécu le changement de cette ville et le changement de cette ville est du à quoi ? ».

PM : « La présence de l’aéroport ».

AA : « La présence de l’aéroport, donc l’aéroport de Charles de Gaulle … Ce changement est du à quoi, en fait ? ».

toit_avionPM : « Les autorités de l’aéroport sont venues faire une conférence à la salle des fêtes et ont dit aux habitants que ce ne serait plus vivable parce que l’axe des pistes allait passer sur le village. Ils nous ont dit que les avions allaient larguer leur excédent de kérosène sur le village à l’atterrissage. Ils nous ont dit qu’il décollerait un avion toutes les deux minutes. Et ils nous ont dit aussi que les possibilités d’insonorisation sont quasi inutiles parce que pour bien insonoriser, il faudrait tout boucher et vous vous asphyxieriez, quoi ! D’autre part, on ne prend en charge qu’une pièce par maison. Et ils ont dit aux gens : si vous voulez, on vous achète les maisons. Et ils nous ont dit que le village, quand ils auraient racheté tout le village, il allait être rasé ! ».

AA : « Et c’était en 1974 ? ».

PM : « Oui, en 1974 ! ».

 AA : « Et à cette époque-là, combien y avait-il d’habitants ? ».

 PM : « Un peu plus de 1 000 habitants ».

 AA : « 1 000 habitants … Et, après cette réunion, comment cela s’est-il passé ? ».

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PM : « Il y a eu une première vague de vente. Les gens ont vendu leurs maisons. Il faut dire que c’était des gens âgés. Et puis, l’aéroport proposait un prix supérieur au marché, parce que déjà, ce n’était pas très coté. Ce sont des maisons anciennes, mais aussi du fait de la présence de l’aéroport, ça devenait donc invendable. Enfin, il n’y avait que l’aéroport qui était un client et qui pouvait acheter… Et ils les achetaient un bon prix ! Voilà. Et alors, il y a eu une première vague de vente et puis il y en a eu une seconde. Je ne sais pas en quelle année … quand le Tupolev est tombé (3 juin 1973). Cela a beaucoup démoralisé les gens parce que cela a abîmé un quartier et qu’il y a eu 8 morts, sans compter les gens qui étaient dans le Tupolev (6), et beaucoup de blessés ».

AA : « Et c’est tombé sur un groupe de maison pas loin d’ici ? ».

PM : « Oui, sur un quartier pas loin d’ici, à deux kilomètres ».

 AA : « Donc, cela a effrayé les gens ! ».

 PM : « Oui, cela y a fait beaucoup ! Il y a eu une seconde vague de vente et puis après, cela s’est stabilisé. Quand ils ont dit qu’ils allaient tout raser, cela m’a paru bizarre parce que l’église est monument historique et qu’il y a un périmètre réservé tout autour : 500 mètres ! 500 mètres, de ce côté comme de ce côté, cela faisait tout le village ! Donc, premier mensonge de l’aéroport ! Second mensonge, quand ils disaient que les avions allaient larguer leur excédent de kérosène, c’est interdit ! Au même moment, il y avait eu une histoire : il y en avait qui avaient largué du kérosène sur la forêt de Fontainebleau et la cime des arbres était brûlée. Ils ont dit : l’axe des pistes va passer sur le village. J’ai pris ma voiture et je suis allé voir le chantier. Ils étaient en train de construire les pistes ».

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« Le clocher du village était nettement à gauche et effectivement la piste ici, elle passe à 500 mètres. D’autre-part, ils ont dit qu’il allait y avoir un décollage toutes les deux minutes. Ce n’est pas possible. Je me suis renseigné : les procédures d’envol prennent au moins cinq minutes. Ah oui, ensuite : que les gens n’avaient le droit de vendre qu’à l’aéroport, qu’ils avaient dit, alors que c’était faux ! Je suis allé me renseigner à la préfecture et à la préfecture, ils m’ont demandé : c’est l’aéroport qui vous a dit ça ? Je leur ai dit : mais vous savez, ils ne nous ont pas dit que ça ! warning_villageLa secrétaire m’a alors dit : mettez moi tout, envoyez moi une lettre, mettez moi tout par écrit ! Ils ont payé les maisons trois francs six sous. Ils ont acheté les maisons mais ensuite, c’était pour loger leurs techniciens parce que, étant de l’aéroport, ce ne sont pas eux qui feraient des histoires pour le bruit ! ».

« Et puis, il y a eu trois suicides. Il y a eu un couple de personnes âgées qui avait vendu à l’aéroport mais l’endroit qu’ils avaient acheté ne leur convenait pas. Ils ne s’y sont pas faits, vous voyez. Vous savez qu’une personne âgée perd la capacité d’adaptation. Ils ont voulu revenir sur la vente, l’aéroport s’est opposé et ils se sont suicidés au gaz ! ».

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« Et puis ensuite, il y a eu le boucher, un jeune. Il a vu sa clientèle fondre. Il a fermé sa boutique. Je le voyais trainer dans les rues et puis un jour, j’ai appris qu’il s’était suicidé. L’aéroport s’est fait remettre en place ! On leur a dit : vous ne tenez aucun compte de l’élément humain. C’est le moins qu’on puisse dire ! ».

AA : « Sur les milles habitants au départ, combien sont partis ? ».

PM : « Aujourd’hui, il reste 350 habitants. Il y a des maisons restaurables, mais il y en a d’autres … ruineCe sont des constructions anciennes avec pierres et chaux. Vous savez, si la maison n’est pas chauffée, la chaux s’humidifie, le mur gonfle et puis ça tombe quoi ».

 AA : « On a vu un genre de château … C’est quoi ça ? ».chateau_1

PM : « Ici là ? Mais oui ! On l’appelle le château mais c’est une maison bourgeoise. Au mois d’août, il n’y avait personne et ça m’a été raconté … ».

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PM (Suite) : « Il y a eu le feu. Les pompiers sont arrivés. Il n’y avait pas de pression aux bornes d’incendie. Dans ces cas-là, on fait venir le camion-citerne ! Et bien non, ils ont laissé brûler ! Et alors là, ça se dégrade mais les quatre murs sont encore costauds quoi ! Ce sont des murs larges comme ça et en pierres taillées. Parce que vous avez des maisons en pierres aussi, mais ce sont des pierres en tout venant. Ce n’est pas si costaud que des pierres taillées. Les pierres taillées, elles restent en place, vous voyez ! ».

AA : « Pour les mensonges qui ont été évoqués au départ, c’était pour acheter les terrains pour mettre leur personnel ? ».

PM : « Pour mettre leur personnel, comme ils l’ont fait à Athis-Mons ! ».

AA : « Mais, ils ne l’ont pas fait ? ».

PM : « Quand au bout de dix ans, j’ai vu que rien ne se faisait, alors là, j’ai fait venir la presse quoi ! J’ai fait venir les journalistes de Libération. ça a fait du tapage ! Alors, ils n’ont rien fait ! … Ce qu’ils ont fait, c’est faire courir des bruits sur moi quoi ! Quant à la préfecture, alors là, je suis marqué à l’encre rouge ! À çà, de leur avoir écrit, ça va ! Mais d’avoir fait venir la presse … ».

AA : « Vous êtes grillé quoi ! ».

PM : « Hé oui et d’ailleurs, il n’y a que depuis quelques temps que je peux exposer au salon du Val d’Oise ! ».

AA : « C’est vrai ? ».

PM : « Hé oui, j’étais interdit quoi ! Interdit par le département ! ».

AA : « En tant que peintre ? ».

PM : « Oui, Oui ! ».cimetierePM (Suite) : « Ici, c’est vraiment ceux qui ont une tombe familiale … Ils n’enterrent plus ici. C’est ceux qui ont un caveau de famille … ».

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« Quand le village marchait, on faisait des fêtes ici ! On faisait des repas champêtres. Et puis même après, avec les habitants qui restaient. C’est moi qui m’en suis occupé à ce moment-là ! Fallait pas arrêter la tradition ! On faisait toujours un repas champêtre dans le parc là, et puis aussi, il y avait un jeu très ancien, le jeu de la potence. C’était une potence, qui était à cette hauteur et on suspendait un gigot, un gigot de mouton. Et à six mètres par-là, en lançant des bâtons, il fallait d’abord casser l’os et puis casser le tendon. Celui qui le faisait tomber, il le gagnait.

L’aéroport avait dit à ma municipalité qu’ils prendraient deux mille emplois sur Goussainville … Il y en a cinq cent, autour de cinq cent quoi, ce qui est quand même pas mal ! Mais alors, si au nom de l’emploi, on autorise les gens à faire n’importe quelle escroquerie, ça va plus quoi, hein ! On n’était pas très bien vu quoi ! Alors, avec un groupe, on leur disait : ho, un beau jour dit, on fera une commune libre ! … Alors, ils ricanaient quoi ! ».

AA : « Vous êtes des rebelles ! ».

PM : « Oh oui-oui, on s’était appelé les Résistants, quoi !

AA : « Les Résistants ! ».

PM : « Les Résistants … ».

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PM (Suite) : « Elle a vu que j’étais là avec mon appareil … Alors, elle a pris la pause, là. Mais, gentille, hein ! Elle m’a parlé mais seulement, je ne comprends pas deux mots d’allemand ! C’est très dur à faire la Joconde, hein ! »

AA : « Ah oui ? … C’est vrai ça ? ».

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PM : « Je l’ai fait plusieurs fois mais chaque fois, c’est un boulot, heu … délicat, hein ! Vous voyez, pour faire son sourire là, c’est … Presque tous les personnages de Vinci, ils ont toujours ce sourire … ».

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PM : « D’après un gisant, on m’a demandé d’en faire le portrait, alors je l’ai fait un peu de trois quart ».

AA : « Et qui c’est, lui ? ».

PM : « C’était un diplomate ! ».

AA : « À l’époque, il y avait le Concorde … ».
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 PM : « Oui, mais il passait une fois par jour, quoi ! Il passait une fois par jour, à onze heures et quart ! Ça me servait de pendule quoi, hein ! Je racontais, … le bruit durait cinq secondes : j’entendais « WRRROUARRRRRR !!! … » et puis, il était passé ! ».


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Pierre MURILLO, Artiste Peintre.
Reportage au vieux village de Goussainville, « Le Vieux-Pays ». Club Audiovisuel du Bouchet. Samedi 18 avril 2015.

 


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